Vocalises au clair de Lune

 

 

Depuis l’hélitreuillage de Titouan, et sans qu’on pût y voir une relation de cause à effet, l’anticyclône des Açores avait décidé de prendre durablement ses quartiers sur le proche-Atlantique. Et Dieu sait si le gaillard s’y entend pour repousser au loin les dépressions estivales. La Bretagne jouissait donc d’une saison touristique à faire pâlir d’envie la Costa del Sol. L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours*. Et dépassait même certains soirs, lorsque le soleil avait particulièrement soigné le job, les 19° Celsius. C’est peu dire que cette douceur arrangeait les affaires de nos tourtereaux, dont on sait qu’ils ne pouvaient se connaître bibliquement qu’au sein de l’Océan. 

 

Il n’est pas exceptionnel que certaines personnes du beau sexe, au moment suprême, éprouvent le besoin de moduler quelque semblant de roucoulade. Tout, l’été, entre chien et loup, les vacanciers qui avaient jeté leur dévolu sur les campings de Mousterlin purent donc entendre des vocalises dignes de Mado Robin, de La Callas  ou de Patricia Petitbon. Dans les premières semaines, les mélomanes n’y retrouvaient pas leurs petits. Mais fin juillet, les plus affûtés reconnurent un extrait des Pêcheurs de Perles de Georges Bizet : « Je crois entendre encore… »

 

Naïa l’avait découvert à la télévision lors de la rediffusion du film « Mon petit doigt m’a dit. » avec Catherine Frot et André Dussolier. Dans un passage où les deux comédiens roulent en Cabriolet, ils expriment en effet leur joie de vivre, en chantant à tue-tête ce fameux « Air de Nadir ». Les jours qui suivirent elle ne put s’empêcher de le fredonner en sourdine. Le seul remède à cette addiction bien connue était de lui substituer une autre mélodie. Elle trouva son bonheur sur You Tube et les campeurs purent entendre désormais un air différent à chaque début de nuit. 

 

 

Debut Septembre, Titouan qui venait de rentrer de la Vallée des Fous, s’apprêtait à cueillir sa bien-aimée au ras des flots, lorsque retentirent les premières mesures de « Loguivy de la mer ». Il porta son smartphone à l’oreille :

 

« Allo ?

— Titouan Le Goff ?

— Lui-même

— Bonsoir Titouan. Quentin Barnabé, de Voiles et Voiliers. J’ai eu le plaisir de vous interviewer à  Audierne.

— Je me rappelle. Bonsoir. 

— Un de mes bons amis passe actuellement quelques jours à Mousterlin. C’est un agent artistique spécialisé dans le Lyrique. Tous les soirs, il peut entendre des vocalises dignes des plus grandes de nos divas. Il s’est renseigné auprès des Hôtels et même des Campings. Aucune chanteuse lyrique n’est signalée en ce moment dans les parages.

— Et ?

— J’ai repensé à votre histoire de Sirène. Sur le coup, comme mes collègues des quotidiens régionnaux, j’ai cru à une galéjade. Mais à présent je vous soupçonne de nous avoir dit la vérité. 

— Et ?

— Je parie que cette Sirène vous a suivi jusqu’à Mousterlin et que c’est elle qui vocalise tous les soirs. J’en ai parlé à mon ami et il serait très heureux s’il pouvait vous rencontrer.

— Pourquoi pas ?

— Merci Titouan. Je lui fais la commission. Tel que je le connais, il devrait vous appeler dans les minutes qui suivent. »

 

 

 * Merci Monsieur La Fontaine

 

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