La com' a ses raisons..

 

Le matin même, Titouan avait quitté le CHU par une porte dérobée pour éviter l’embuscade tendue par les journalistes et rejoignit Audierne en taxi. Il y retrouva son voilier à bord duquel s’affairaient deux membres de l’équipe. 

 

« Salut Titouan, tu as voulu imiter Alain Gautier où c’était juste parce que tu ne pouvais résister au chant des Sirènes ? plaisanta Bébert, le petit rigolo de la bande.

— Il n’y avait qu’une Sirène, mais nul homme digne de ce nom ne pouvait résister à son chant. Sinon, les voiles ?

— Elles ont pas mal fasseyé, mais à part le Spi, elles n’ont pas trop souffert. Sinon tout est OK. La directrice de communication du sponsor souhaite que tu lui téléphones au plus vite.

— Je vais l’appeler en Face-Time avec l’ordinateur de bord. »

 

Titouan s’y attendait, le sponsor voulait mettre à profit sa « fortune de mer » pour qu’on cause de l’esquif qui portait le nom de son entreprise. Il avait prévu une conférence de presse à 18 heures près d’icelui. S’il avait gagné l’étape (on peut toujours rêver), notre navigateur aurait pris plaisir à l’exercice. Mais devenir le héros du jour parce qu’il était tombé du bateau lui semblait un peu glauque. Mais la com’ a ses raisons que la raison ignore, comme disait Pascal, le penseur de l’équipe.

 

Aux deux correspondants locaux de la Presse régionale, Ouest-France et Le Télégramme, s’était joint un chroniqueur d’une revue nautique, en vacances dans le coin. Le cockpit du voilier était donc suffisant pour accueillir la conférence de presse. Quelques phrases suffirent à Titouan pour narrer sa fortune de mer.

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« Je suis tombé à l’eau. Le bateau a poursuivi sa route sous gouvernail automatique. Heureusement un chalutier d’Audierne a donné l’alerte. Ce qui fait que j’ai été récupéré par un hélico de la Marine Nationale. Que je ne remercierai jamais assez.

— Nous savons tout ça. Comment un marin tel que vous a-t-il pu tomber à l’eau par « temps de curé » ?

— C’est déjà arrivé à bien meilleur que moi.

— Alain Gautier voulait libérer une algue dans son gouvernail. Etiez-vous dans la même situation.

— Non.

— Expliquez-nous alors ce qui s’est passé. »

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Titouan ne savait pas mentir. Non qu’il fut spécialement vertueux ni qu’il craignit que son nez ne s’allongeât, mais parce que les rares fois où il s’était essayé à ce petit jeu, il avait toujours fini par s’emberlificoter dans la suite de ses propos.

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« Vous voulez vraiment savoir la vérité ? »

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Les journalistes ravis opinèrent du chef.

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« Bon, ben, je me jette à l’eau, fit Titouan avec un clin d’oeil complice. J’ai entendu chanter une Sirène.

— Vous voulez dire un signal d’alarme.

— Non, une vraie Sirène, une femme avec une queue de poisson.

— Laissez-moi deviner. Son chant était si mélodieux qu’elle vous a ensorcelé et que vous vous êtes jeté à l’eau pour la rejoindre.

— C’est exactement ce qui s’est passé. J’étais comme hypnotisé et ce n’est que lorsque j’ai commencé à cailler et que j’ai vu mon bateau se barrer que j’ai repris mes esprits.

— Vous plaisantez, j’espère.

— Jamais avec les choses sérieuses.

— En principe, votre Sirène aurait dû vous entraîner dans les abysses.

— Elle ne l’a pas fait. Au contraire, elle m’a maintenu en surface lorsque le froid m’a paralysé. »

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Décidément, ce Titouan Le Goff était un sacré pince sans rire. 

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« J’espère que vous avez conclu, s’enquit, égrillard, le chroniqueur de la revue nautique.

— Désolé, mais je n’aime pas parler de ma vie privée. »

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Les équipiers qui suivaient la conférence dans les passavants se joignirent à la jubilation générale.

« Il me semble que tout est dit. Pascal, tu as prévu des rafraichissements ? 

— J’ai tout ce qui faut dans la cabine.

— En ce cas Messieurs buvons un coup à la santé de mes sauveteurs.

 

— Et à celle des Sirènes, ajouta le correspondant du Télégramme. »

 

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