D'un thème récurrent

 

Au collège, l’heure qui s’écoulait entre la fin du déjeuner et l’ouverture des portes aux externes était de très loin la plus agréable. Celle que nous mettions à profit pour échanger nos impressions, nos rêves, nos petites histoires et refaire le monde. 

 

Dans un recoin de la cour, abrité par un vieux tilleul, quelques privilégiés s’installaient sur une amorce d’escalier. Quatre marches trés convoitées où s’installaient les plus respectés des potaches. Cette année, c’est le noyau dur de la troisième quatre qui se l’était arrogé. J’en avais un souvenir très précis. C’est donc avec jubilation que j’y suivis mes trois « acolytes ». Ce dernier terme avait été employé publiquement, avec une connotation résolument péjorative, par le Principal pour fustiger je ne sais plus laquelle de nos peccadilles. Dans le microcosme des collégien.ne.s, cette remontrance collective valait toutes les légions d’honneur.

 

 

« Dis-nous Pierrot, t’en pinces pour la prof d’Histoire ou quoi ? 

— Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?

— Ben ce matin, tu la regardais avec des yeux de merlan frit et tu n’as pas raté une miette de son cours. 

— C’est seulement parce que pour une fois le sujet m’intéressait.

— On dit ça. 

— Faut tout de même reconnaître qu’elle est bien gaulée.

— Mais elle a l’âge d’être ta mère.

— Et alors ? Le Président de la République n’a pas quarante ans et sa daronne en a au moins soixante.

— Tu déconnes ou quoi. Mitterrand a dans les soixante-dix piges et Taty Danièle doit être dans les mêmes eaux. »

 

Aïe ! J’avais oublié qu’en une nuit j’étais passé du macronisme au  mitterandisme.

 

« Décidément, mon pauvre Pierrot, depuis ce matin tu marches à côté de tes pompes. »

 

Il me fallait d’urgence trouver une diversion.

 

« Et toi Zain, où en es-tu question gonzesses ?

— Je suis toujours avec Tahiti. Mais on ne se voit qu’en dehors du bahut pour ne pas avoir d’ennuis.

— N’empêche, comment t’as gazé en levant cette nénette, apprécia Jeff avec un brin de jalousie. »

 

Tahiti s’était pointée en cours d’année. Son père, officier de marine, avait quitté son affectation polynésienne pour prendre un commandement à Brest. Venant s’ajouter à un physique des plus avenants et à caractère enjoué, cette touche d’exotisme avait conquis la totalité des potaches disposant du chromosome y. Et sans doute aussi de quelques-unes parmi celles qui en étaient dépourvues. Sans qu’il ait eu besoin d’esquisser la moindre amorce de drague, c’est Zain qui avait emporté le gros lot. Désappointant ainsi quelques beaux gosses dûment estampillés qui ne comprenaient pas ce qu’elle pouvait lui trouver.

 

 

« Moi, j’ai beau faire, j’y arrive pas, s’affligea Doudou. Je ne plais pas aux filles qui me plaisent et les rares qui s’intéressent à moi ne me plaisent pas. 

— Moi c’est un peu pareil, mais en moins grave, confirma Jeff.

— Et toi Pierrot ?

— Je crois qu’à quelques exceptions près, comme ce gros veinard de Zain, nous sommes tous logés à la même enseigne. »

 

 

 

Comment pouvais-je leur dire que j’avais trouvé la femme de ma vie, que je lui avait fait deux enfants, que nous filions le parfait amour et que d’un seul coup, je voyais cette situation sous un tout autre angle.

 

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