D'un con d'écureuil

 

Au cours des deux premiers kilomètres, je me contraignis à rouler pépère en me contentant d’avoir les gamines en point de mire. Mais je commençais à avoir des fourmis dans les guibolles et j’adoptai donc une nouvelle stratégie : rouler à mon rythme naturel, dépasser les demoiselles, me fendre d’un petit bonjour au passage, poursuivre ma route au même rythme et me mettre en standby aux abords de l’étang. 

 

Il m’a suffit de forcer un peu sur les pédales pour être en quelques minutes à leur niveau.

 

« Salut les filles ! 

— Salut le garçon ! répliqua la copine, une costaude, frisée comme un mouton. »

 

Mylou se contenta d’un sourire étonné. Mais je pus constater qu’elle avait déjà ce regard bleu-vert, dans lequel je ne pouvais plonger sans perdre la tramontane. Mon palpitant battit instantanément la chamade. 

 

Mais petit doigt me sussurait que si j’entamais la converse, la copine allait ratatiner mon plan. Je me fendis donc simplement d’un guilleret : « Bonne balade », assorti d’un regard enflammé en direction de Mylou et j’appuyais sur les pédales afin de creuser rapidement le trou. Boosté par un afflux de sang neuf, mon fidèle ciboulot en profita pour élaborer une variante à ma stratégie. 

 

Au lieu de me mettre en standby, j’emprunterais le sentier de l’étang du Roscoat jusqu’à atteindre un poste d’observation d’où je verrais l’arrivée des demoiselles. Si elles le prenaient en sens contraire, je presserais le pas pour hâter notre rencontre, sur le mode « vous ici, nous avons les mêmes goûts, etc ». Si elles le prenaient dans le même sens, je ferais en outre semblant de m’intéresser aux libellules qui prenaient leur pied sur les somptueuses ombellifères qui croissaient sur la rive. Mylou adorait les animaux. Le sujet de conversation était donc tout trouvé.

 

Tout semblait donc devoir baigner dans l’huile lorsque surgit ce con d’écureuil. J’eus le stupide réflexe de freiner à mort pour l’éviter. Du coup, je me farcis un demi-looping au dessus du guidon. Je ne ressentis même la violence de l’impact. Je m’évanouis instantanément.

 

 

 

Lorsque je repris conscience, affublé d’une minerve et le chef enrubanné comme un oeuf de Pâques, Mylou lisait à mes côtés. Pas la pré-ado que je venais de dépasser à bicyclette, mais la belle personne qu’elle était devenue un quart de siècle plus tard.

 

« Enfin, tu te réveilles ! Mon pauvre Pierrot, tu nous a fichu une sacrée trouille.

— Où suis-je ? 

— Au CHU. Les pompiers t’y ont conduit avant-hier soir.

— Ils ont y mis le temps. Je me suis cassé la figure à vélo en début d’après-midi. À cause de l’écureuil.

— Qu’est-ce que tu me chantes avec cette histoire de bicyclette et d’écureuil. Tu venais de descendre du trottoir et pour éviter une voiture en excés de vitesse, tu as dû faire un bond en arrière et ta tête à heurté une borne.

— Je ne m’en souviens plus dis donc. 

— Tu te souviens tout de même de moi ?

— Comment pourrais-je oublier la femme de vie. Bisou ? »

 

Épilogue.

Nous vécûmes heureux et nous eûmes beucoup d’enfants*.

 *Seulement 3 en réalité, dont deux étaient déjà faits.