Mylou

 

Je descendis sans attendre au garage. Ma bicyclette « hors d’âge », elle aussi me semblait avoir bénéficié d’un sérieux coup de jeune. Elle avait en effet retrouvé sa couleur d’origine : le « vieux rose » des vareuses dont s’affublent les marins d’opérette, aux rassemblements de « Vieux Gréements ». En terminale, à l’acmé de ma période anarchiste, je l’avais repeinte en noir, puis oubliée à la première crevaison. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. 

 

En cette fin d’après-midi de printemps, roues gonflées à bloc, chaîne huilée de fraîche date, selle ajustée pile-poil, ma vieille bécane était de nouveau opérationnelle. Je lui offris, séance tenante, une petite virée qui me procura une félicité sans nom.

 

Mylou était pensionnaire au collège Saint-Julien. Il me restait à attendre le week end pour essayer de la rencontrer. Mes beaux-parents avaient ouvert un magasin spécialisé dans la motoculture de plaisance. Ils habitaient les étages au dessus. On y montait en empruntant une porte située à la gauche de la boutique. Samedi prochain, en début d’après midi, il me suffirait de me mettre en planque, un peu en retrait sur le trottoir d’en face, pour avoir de bonnes chances de voir apparaître la dame de mes pensées. Ensuite, j’improviserais. Nous étions Jeudi. Il ne me restait qu’un jour d’attente.

 

 

Vingt-quatre heures avaient suffit à me réaccoutumer à la vie de potache. Il me fallait seulement éviter les anachronismes pour ne pas déconcerter mes condisciples. La macronade m’avait servi de leçon. Loin de m’importuner, ce luxe de précautions me donnait la délicieuse impression d’être le héros d’un roman d’aventure. On ne peut que se prendre au sérieux quand on a quatorze ans. 

 

 

Mon plan fonctionna comme prévu. Prétextant un match de foot, je quittais la table familiale le Samedi à douze heures trente. En forçant sur les pédales, j’étais « sur zone » à treize heures dix. Deux minutes plus tard, j’étais en planque à l’abri d’un buisson. 

 

J’avais été bien inspiré en élaborant mon timing. En effet à treize heures trente, ça commençait « à bouger » comme on dit dans les séries policières. Une gamine à bicyclette venait en effet de se présenter à la porte du domicile de ma future épouse. Je croisais les doigts pour que la première n’entre pas et que la seconde sorte avec son propre vélo. 

 

Bingo ! Je reconnus Mylou du premier coup d’oeil. A treize ans, elle avait déjà cette vivacité et ces mêmes cheveux chatains qui lui tombaient presque jusqu’au reins et qui m’avaient fait craquer.

 

Après s’être bizouillées les deux cylistes enfourchèrent leur monture et prirent la direction de l’étang du Roscoat, une retenue d’eau où s’ébattaient de nombreux palmipèdes. Main dans la main, nous avions maintes fois emprunté le sentier qui en faisait le tour. 

 

Il suffisait de laisser les gamines prendre une petite avance pour qu’elles ne s’aperçoivent pas de la filature.

 

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