Premier matin de ma seconde adolescence

 

J’avais décidé de jouer le jeu. Je pris donc connaissance du sujet de ce fameux contrôle de math. Il me parut ridiculement facile. La seule difficulté était d’éviter d’avoir recours à des solutions hors programme.

 

En vingt minutes c’était plié. Dix pour le brouillon, dix autres pour la mise  au net. Pour qu’il y ait un peu de stylo rouge sur ma copie, je m’étais offert le luxe facétieux de commettre deux erreurs volontaires dans le calcul littéral et de rédiger maladroitement la démonstration de l’exercice de géométrie portant sur le théorême de Thalès.

 

Je consacrai les trente-cinq minutes restantes à examiner les différentes façons de gérer cette situation complètement dingue. Il n’y avait que deux options. 

 

Elle (la situation) pouvait n’être que transitoire. Un matin je me réveillerais dans un quelconque Ibis, ou dans notre maison de l’impasse Appolinaire, et je retrouverais mes statuts de père de famille et de cadre moyen qui me convenaient à merveille. C’était bien entendu la solution que j’appellais de mes voeux.

 

Mais on ne pouvait exclure que le processus soit irréversible. Il me faudrait en ce cas reprendre des études fastidieuses à partir de la troisième et me réhabituer aux pratiques des ados.

 

La sonnerie mit un terme à mes supputations et cependant que le prof « sévère mais juste » emportait son paquet de copie, la classe de troisième quatre profitait du bref inter-classe pour se détendre un peu les neurones.

 

« Qu’est-ce qu’on a maintenant ? m’enquis-je auprès de Zain.

— Ben, Histoire-Géo, qu’est-ce que tu as ce matin ? Tu torches ton contrôle de math en vingt minutes, ensuite tu plonges dans ta bulle et au retour sur terre, tu ne te rappelles plus l’emploi du temps. Tu n’aurais pas pris de la marijuana au p’tit déj’, se marra-t-il.

— Laisse tomber Zain, c’est juste un petit coup de mou. »

 

Histoire-Géo, donc. Dans ma première vie d’ado, j’aimais bien les maths, la physique, les sciences naturelles et la technologie. Beaucoup moins la matière qui m’attendait en deuxième heure. Je me préparais donc à une autre séance de rêverie. 

 

A tort. J’en fus très surpris, mais je ne me suis pas ennuyé. Bizarrement, la prof, quadragénaire, plutôt bien gaulée s’était éclipsée de mes souvenirs. Pourtant elle avait une voix persuasive et développait remarquablement son sujet. La montée du nazisme, n’était pas forcément de nature à passionner les ados de troisième quatre, mais entrait dans le domaine de mes centres d’intérêt d’adulte. 

 

Après la récré, rebelote ! Alors que j’étais nul en langues dans ma première vie de potache, j’ai tout compris en cours d’anglais. A la surprise générale, je me suis même risqué à lever la main pour répondre à une question dans la langue de James Bond. Je me suis bien gardé de signaler que, dix ans plus tôt,  j’avais potassé dans le cadre de mon job le Test of English for International Communication. 

 

Pour couronner la matinée, en dernière heure, le cours de Français consacré à la « Page d’Ecriture » de Jacques Prévert m’a convaincu que je pouvais reprendre mes études secondaires en toute sérénité. J’avais enfin acquis cette fameuse maturité dont mes enseignants successifs avaient jadis unanimement déploré que j’en sois dépourvu.

 

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