Du jambon

 

Quand Alexandre-Benoît Bérurier, l’hédoniste et gargantuesque adjoint du commissaire San-Antonio, évoque, l’oeil égrillard, « la Madeleine de Proust », avec un M majuscule, il fait une fois de plus preuve d’une inculture taillée dans le marbre de Nogent-le-Rotrou. La madeleine en question n’est pas la supposée initiatrice du jeune Marcel mais plus prosaïquement une spécialité pâtissière dont s’honore Commercy (ravissante cité des non moins ravissants bords de Meuse). 

 

Nonobstant ses phrases intermitables qui découragèrent des générations de lecteurs, cet auteur moustachu a réussi le miracle de passer à la postérité. Non parce que ses écrits sont plus efficaces que les somnifères vendus en pharmacie, mais grâce à son appétence pour ces petits gâteaux. 

 

« Etonnant non ? » aurait conclu le regretté Monsieur Cyclopède.

 

Bien entendu il y a un truc : chaque fois que le bonhomme trempait une madeleine dans une tasse de thé, cette saveur lui rappelait un épisode de son enfance.

 

 

Je ne goûte guère cette spécialité lorraine, mais, comme nombre de mes contemporains, j’ai aussi ma petite « madeleine de Proust ». Le jambon. Non pas le jambon de Parme ou de Bayonne que je ne découvris que bien plus tard, mais le démocratique jambon de Paris que ma maman allait quérir chez le charcutier du coin. « Du jambon rose et blanc », comme en consomma le jeune Arthur Rimbaud au « Cabaret vert » à cinq heures du soir et qui nous valut un sonnet que je ne me lasse pas de relire.