Mai 68


Le voyage d’Isidore Mévout au temps de Cicéron s’achevait sur ce dialogue visiphonique.

 

« Salut Isidore. Tu es en partance pour la Rome Antique ou tu es déjà de retour ?

— Je viens d’y passer cinq jours, mais je ne me suis absenté de notre siècle qu'une trentaine de minutes. Comme la première fois.

— C’est dingue, répondit-il en imitant Jacouille la Fripouille.

— Tu sais que j’ai eu l’honneur d’interviewer ton homonyme. J’ai même tourné une vidéo qui vaut son pesant de cacahuètes. Tu pourras la voir demain matin. Je pensais passer la nuit à Rome avant  de repartir pour un trip dans la Renaissance Italienne, mais finalement je rentre à Paris.

— J’ai hâte de voir sa tronche. Il me ressemble ?

— Tu jugeras sur pièce. Je rentre plus tôt que prévu car je crois avoir trouvé un truc pour libérer le chronoscaphe de la contrainte d’une aire de départ et d’arrivée. Il me tarde de le mettre en oeuvre. 

— C’est à dire ?

— La carosserie n’a qu’un rôle décoratif et protecteur. Mais ce second point n'est peut-être que psychologique. Je pense qu'on pourrait s'en passer. Mieux agencés, avec des modules miniaturisés, le bloc moteur et ses accessoires devraient pouvoir tenir dans un sac à dos. J’envisage donc de modifier le chronoscaphe afin de le rendre portatif.

— C’est pas con.

— Merci.

— Ca ne te fiche pas la pétoche de t’engouffrer ainsi, avec ta pipe et ton couteau, dans les couloirs du temps ?

— Je testerai d’abord le truc sur un clebs ou sur un chimpanzé.

— Et s’ils se débinent et se perdent dans la nature ?

— Pas de problème, je programmerai l’ordi pour que l’heureux élu, où qu’il soit, revienne à son lieu de départ au bout d’un temps déterminé.

— Et s’il revient en bonne santé, tu vas t’y coller à ton tour.

— Comment as-tu deviné ? »

 

La communication s’interrompit sur des éclats de rire.

 

 

Huit jours plus tard, l’énergumène expédia un malheureux labrador, chargé comme un baudet, passer une petite heure sous le règne de Louis Quinze. L’animal en revint un tantinet abasourdi mais reprit très vite du poil de la bête. Un vétérinaire du quartier confirma qu’il était en pleine forme.

 

Isidore décida donc de se lancer à son tour dans l’aventure. Après moultes réflexions, il choisit de les vivre au bon vieux temps des sixties. Avec son sac à dos, on l'y prendrait pour un routard en partance pour Katmandou. Ou pour un frimeur désireux de passer pour tel. Mais l’effet serait le même : il ne se ferait pas remarquer. Il n'aurait nul besoin de se déguiser, son ensemble en jeans était déjà très tendance. 

 

Né bien après cette période, il ne risquait pas de se rencontrer. Ses parents devaient y être d’adorables bambins, entre la maternelle et le cours préparatoire. Si un hasard mal intentionné — mais statistiquement très improbable — faisait que son chemin croisât celui de l’une ou l’autre de ses grand-mères, il aurait suffisamment de retenue pour ne pas chercher à la séduire. Le risque d'un télescopage était donc très proche de zéro.

 

Restait à résoudre le problème monétaire. La Banque de France avait détruit toutes les espèces de l’époque. En faisant la tournée des numismates et en se portant acquéreur sur ebay, Isidore réussit tout de même à s’en procurer en quantité suffisante pour survivre quelques jours.

 

Il choisit les Buttes-Chaumont comme aire de départ et d’arrivée. Sur semaine, en début de matinée, il y serait à l’abri des curieux.

 

« Si tu comptes t’immerger dans les sixties, pourquoi pas carrément en Mai 68 ? suggera son ami d’enfance.

— Décidément, tu as le pouvoir de lire dans mes pensées. »

 

 

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