Frou-frou

 

 

— Longtemps je me suis couché tard dans le seul dessein d’écouter les étoiles.

— Tiens donc…

— C’est presque imperceptible, mais les étoiles au ciel font un doux frou-frou.

— « Frou-frou, frou-frou, par son jupon la femme… » À l’issue des repas de fête, mon grand-père maternel lançait invariablement cette rengaine que nous reprenions tous en chœur.

— Mon grand-père aussi, c’était sans doute un tube de leur époque. 

— Et selon vous les étoiles émettent le même son?

— La réponse est oui. Il faut bien sûr qu’on soit en pleine campagne et que la nuit soit claire, mais les constellations émettent effectivement ce son reconnaissable entre tous.

 

J’eus pour mon voisin de comptoir le regard bienveillant que l’on réserve aux poètes et/ou aux pauvres en esprit. 

 

 

 

En ce bon soir de septembre où je sentais des gouttes de rosée à mon front — comme un vin de vigueur — j’avais choisi de dîner d’un simple sandwich au zinc du Cabaret-Vert. Lorsque je me déplace pour affaires, je préfère cette formule qui me permet d’échapper à la solitude bien connue des commis voyageurs. 

 

Ce soir, le jambon rose et blanc n’était qu’à moitié froid et la serveuse avait  l’œil vif, le sourire et les tétons énormes.

 

— Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! risquai-je en m’adressant à l’homme aux étoiles.

— En effet, opina-t-il cependant que la belle nous tirait deux immenses chopes que dorait opportunément un rayon de soleil.

 

Mais le type préférait manifestement tendre des chaînes d’or entre les étoiles. Il resta de marbre et je m’abstins de développer.

 

 

 

— Sans doute connaissez-vous l’Auberge de la Grande Ourse, avançai-je pour relancer la conversation.

— C’est une de mes étapes favorites, s’enthousiasma-t-il. Il ne vous a pas échappé que l’Ourse en question n’a rien à voir avec les plantigrades.

— La décoration intérieure ne laisse aucun doute sur le sujet.

— Savez-vous qu’après la fermeture, lorsque la nuit est suffisamment claire, le tenancier ouvre grand sa fenêtre pour, lui-même, écouter les étoiles ?

— Je ne le vois qu’une fois l’an et il ne m’a jamais confié cette passion.

— Bon, c’est pas tout ça. J’ai de la paperasse en retard et je vais devoir rejoindre ma chambre.

— Et à la nuit tombée, cette tâche accomplie, sans doute écouterez-vous  le doux frou-frou des étoiles.

— Hélas non. Les rumeurs de la ville les rendront inaudibles.

 

 

 

Je me retrouvais seul à la l’extrême-gauche du zinc. À l’extrême-droite, la serveuse à l’œil vif gloussait avec un trio de jeunes consommateurs. Je me sentis de trop et sortis prendre l’air. À tout hasard, je tapai « étoiles, frou-frou » sur le navigateur de mon smartphone. J’y lus ce vers qu’il attribuait à Rimbaud :

 

« Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou »

 

Rimbaud ? En seconde, la prof nous avait parlé de ce poète de notre âge qui nous avait enchanté par son côté rebelle. Mais la poésie n’étant pas mon truc, je n’en avais lu — contraint et forcé — que le « Dormeur du Val ».

 

Ce n’était manifestement pas le cas de mon interlocuteur et je crains fort qu’il se soit bien payé ma poire.