— Par les ombres myrteux, je prendrais mon repos.
— Ce sont plutôt des ifs que l’on plante dans les cimetières et je ne sache pas que ces arbrisseaux que sont les myrtes soient réputés pour la densité de leur ombrage.
— Elle est bien bonne, s’esclaffa mon compagnon de zinc.
Il n’y avait pas de quoi rire. Dans l’après-midi, nous avions dû l’un et l’autre emprunter une déviation occasionnée par un accident mortel sur la Nationale. Tout naturellement, nous l’avions évoqué en sirotant nos bières vespérales et de fil en aiguille nous en étions arrivés à parler de la mort en général et de la nôtre en particulier.
— Je suis veuf, mais nullement inconsolé, sourit mon compagnon de zinc. Mon épouse était vrai chameau. Rosse, elle a vécu ce que vivent les rosses, beaucoup trop de matins. J’espère ne pas la retrouver parmi les ombres myrteux.
Nous en étions à la troisième bière et je commençais à goûter à l’humour noir de mon interlocuteur.
— Il vous suffit de choisir un autre cimetière ou de vous faire incinérer.
— Vous me faites un sacré pince-sans-rire, s’esclaffa-t-il derechef. Je vous envie, car si j’adore le second degré, je suis tout effet incapable de le pratiquer moi-même. Et ce n’est pas faute de m’y être essayé.
— Croyez-moi, en ce domaine vous n’avez rien à envier à personne.
— C’est ça, payez-vous ma tronche. Feu-Hélène était un peu sonnée. Néanmoins je la célèbrais du temps qu’elle était belle. Mais son humeur s’est aigrie et le temps à terni sa beauté.
Mon voisin de comptoir devait avoir le houblon triste car sa voix s’est soudainement voilée. Bien que j’en eût la furieuse envie, je me retenais de m’enquérir des circonstances de son veuvage. Je n’en eut nul besoin :
— Elle n’a pas eu le temps de vieillir assise au coin du feu, dévidant et filant. Elle a bêtement chu dans l’escalier un soir où la tempête arracha un arbre qui lui même chut sur les cables électriques en coupant instantanément le courant.
Outre d’avoir le houblon gai, je dois souffrir d’un mauvais fond car j’eus beaucoup de mal à ne pas m’esclaffer à mon tour.