1874

 

Dans le noir absolu, Isidore était incapable d’effectuer le moindre mouvement. En revanche il sentait son coeur battre à près de deux cents pulsations par minutes. Cette « tachycardie paroxystique », pour employer la langue pittoresque en vigueur chez les docteurs en médecine, s’était déclenchée quelques secondes après qu’il eut appuyé sur le bouton et que l’obscurité se fît.

 

Adepte du Yoga, Isidore était capable après un effort de calmer rapidement ses pulsations cardiaques par le pouvoir de la pensée et le contrôle de la respiration. Mais en cet instant, il avait beau multiplier les apnées à poumons vides, rien n’y faisait. Il ne pouvait pas non plus canaliser sa pensée. Le stress qu’il subissait était trop intense. 

 

Au voyage aller, il avait été plongé dans l’obscurité pendant de longues minutes, mais celles qu’il subissait à présent étaient interminables. 

 

Pour son futur immédiat, il élaborait les scénarios les plus pessimistes. Le logiciel du chronoscaphe pouvait comporter une erreur infime, mais suffisante, suivant le fameux effet papillon, pour l’expédier dans un passé antérieur au creusement de la crypte ou dans un futur où elle aurait été comblée pour couler les fondations d’un building. Enseveli sous des tonnes de roche ou de béton, il ne lui resterait plus qu’à espérer une agonie la plus brève possible.

 

Le passage du noir absolu à l’anthracite, puis au gris ardoise, puis au gris souris, puis au beige de la pierre meulière, écarta ces sinistres hypothèses. Eclairée par plusieurs leds serties dans ses parois, la crypte était intacte.

 

En quelques secondes le pouls d’Isidore reprit une fréquence normale. De son accès de tachycardie paroxystique ne restaient qu'un mauvais souvenir et la sueur qui imprégnait ses sous- vêtements. Comme à l'aller, il descendit de son habitacle et se pressa sur le parvis de la chapelle. 

 

La Tour Eiffel n’avait pas réapparu ! 

 

Consterné, il se hâta dans les rues pour constater que les passants étaient vêtus comme à l’époque qu’il venait de quitter. Ce que confirma un peu plus tard le passage d’un fiacre.

 

Un bug avait dû se produire et le chronoscaphe n’avait pas fonctionné. Le respect que je dois au lecteur m’interdit de citer ici les jurons que poussa l’universitaire dépité. Qu’on sache seulement qu’ils relevaient du répertoire des plus frustes des racailles et non de celui de ses pairs.

 

 

Comme la veille, il acquit une gazette du jour dans la première librairie rencontrée. Elle était datée du 7 juin 1874. Le chronoscaphe avait fonctionné certes, mais n’avait fait qu’un saut de puce dans le temps. 

 

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