Tous les chemins mènent à Rome

 

Au cours d’un échange visiophonique Isidore fit part à son ami de sa décision d’entreprendre un nouveau voyage. Comme Mercurocrum lui demandait en quel temps et en quel lieu il comptait vivre ses nouvelles aventures, il se fit évasif :

 

« Les opportunités sont infinies et je ne sais trop que choisir.

— Pourquoi pas la Rome antique ? lui suggérai-je.

— Pourquoi pas. Mais pour y rencontrer qui ?

— Par exemple un simple centurion qui te permettrait d’avoir un regard différent sur la Guerre des Gaules.

— Tu plaisantes j’espère ?

— Ce n’est pas mon genre. J’en connais un,  moi, de centurion, qui ne demanderait qu’à collaborer.

— Là, tu aggraves ton cas !

— Je n'ai jamais été aussi sérieux. Laisse-moi te confier un secret. J’ai l’intime conviction que, dans une vie antérieure, j’étais ce centurion.

— ???

— Je m’appelais Mercurocrum et dans les années 50 avant J-C, avant d’aller me battre en Armorique, j’étais un pilier du « Nigrum Cattus », une taverne bien connue située à environ cinq arpents du forum.

— On est en plein délire !!! Bon, supposons que tu ne te payes pas ma tronche et que ce Mercurocrum ait vraiment existé. Il n’en reste pas moins qu’après Jules Verne, interviewer un bidasse lambda, ça fait tout de même un peu cheap.

— Ce ne serait qu’un intermède. Mercurocrum et ses copains du Nigrum Cattus n’étaient pas les seuls à vivre à Rome dans les années moins cinquante. On y rencontrait aussi du très beau monde : Virgile, Cicéron… Tu te vois casser la graine avec l’auteur des « Bucoliques » ?  

— Vu sous cet angle…

— Tu pourrais aussi filmer les Jeux du Cirque. En moins cinquante, on ne jetait pas encore les chrétiens au lions, mais il y avait quand même du spectacle.

— C’est vrai. On en a un avant-goût dans les péplums. In live, ça doit vraiment valoir le détour… Mais il va falloir que je rajeunisse mon latin !

— Broutille. J’ai failli rater mon bac à cause de l’anglais. Ca ne m’empêche pas de me débrouiller comme un chef quand je vais à Plymouth ou à Galway.

— Vendu ! Je prends le premier vol pour Rome afin de prendre mes marques et d’y chercher une crypte ou une grotte qui puisse me servir de gare. »

 

 

Dans une fiction — cinématographique ou littéraire — le héros peut compter sur l’imagination de l’auteur pour résoudre les problèmes d’intendance et de logistique. Confronté à la réalité pure et dure, Isidore ne pouvait s’en remettre qu’à son ingéniosité, son entregent et sa faculté d’adaptation.

 

Il n’avait jamais mis les pieds à Rome et n’avait que quelques rudiments d’italien. Mais en quelques jours, il n’en dénicha pas moins au centre ville, l’entrée d’un souterrain remontant aux Etrusques. En s’insinuant dans une fente presque invisible de ses parois, il découvrit une grotte qui semblait n’avoir jamais été fréquentée par âme-qui-vive. Sinon celles des chauve-souris ;  si tant est qu’elles en bénéficiassent. La difficulté d’accès de cette excavation la mettait à l’abri des regards, mais interdisait d’y transférer le chronoscaphe en l’état. 

 

Isidore n’était pas homme à se laisser décontenancer. La coque de son véhicule n’était après tout que le réceptacle du moteur et de ses accessoires et ne jouait aucun rôle dans le processus. Son concepteur s’était d’ailleurs fait plaisir en dessinant une carrosserie qui correspondait à l’image futuriste véhiculée par les BD. Mais une simple armoire, équipée d’un tabouret, aurait aussi bien fait l’affaire. 

 

Il suffisait donc à notre ingénieur de s’adresser à une entreprise locale pour qu’elle lui fabriquât une coque en kit. Aussi simplement qu’un bricoleur ou une bricoleuse moyennement doué.e recompose un meuble Ikéa dans sa salle de séjour, il monterait icelle dans la grotte. 

 

L’aventure étant désormais sur les rails, Isidore prit un vol pour Paris. 

 

Il déposa le moteur du chronoscaphe et les accessoires y afférents et les logea dans des caisses capitonnées. Le soir même il reprenait l’avion pour Rome avec son précieux bagage en soute.

 

suite