D'un pays de longues plages 

 

Sans atteindre la dangerosité de la Côte d’Azur, la Bretagne-Sud est néanmoins considérée comme inhospitalière, à la belle saison, par le petit peuple des Sirènes. Ce n’est donc pas sans appréhension que Naïa doubla la Pointe de Penmarc’h.

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Elle nageait à belle allure à quelques encablures d’un pays de longues plages et de dunes basses. Plus elle progressait vers l’Est, plus il apparaissait verdoyant. Naïa qui, chérissait les falaises de granit de son Iroise natale, était un peu décontenancée par ce littoral sans relief. L’eau y était cependant moins froide qu’entre  le Cap de la Chèvre et l’Ile d’Ouessant. Sur l’estran sablonneux, nombreux étaient les humains qui faisaient trempette. Notre Sirène préférée, qui progressait à cent mètres des plages, croisa même quelques baigneurs assez hardis pour affronter le « large ». 

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A Loctudy, le fameux crawleur Alain Béchennec se souvient encore de cette superbe nageuse à longue chevelure, qui lui avait demandé si elle était encore loin de la Vallée des Fous. Devant son incompréhension elle avait précisé : « de la Baie de Concarneau ». 

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« Ca dépend, lui avait-il demandé. En voiture ou à la nage ? » 

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Elle s’était contentée de remercier, de prendre sa respiration et de repartir à fleur d’eau, les bras le long du corps, à une vitesse impressionnante. 

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« Elle avait forcément des palmes, avait commenté l'épouse du nageur, qui préférait barboter prudemment là où elle avait pied.

— Vu l’aspect des remous, je pense qu’il s’agissait même d’un monopalme. 

— Sa Vallée des Fous, c’est peut-être une crique où se retrouvent les aliénés amateurs de bain de mer.

— Je n’y avais pas pensé, mais c’est probable, pouffa le nageur. »

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Devant Sainte-Marine, Naïa  s’enquit auprès d’une nageuse au visage buriné d'ancienne flibustière et au style académique. Personne n’aurait été surpris d’apprendre qu’elle avait failli participer, en 1968, aux Jeux Olympiques de Mexico.

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Quelques kilomètres plus loin, c’est à un vieux de loup de mer, qui laissait dériver son canot en plastique en attendant sereinement qu’un lieue ou un merlan consentit à s’agriffer à sa ligne, qu’elle choisit de s’adresser.

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« La Baie de Concarneau ? Vous n’en êtes pas très loin. Ici, nous sommes à la pointe de Mousterlin.

— Mousterlin ? Ce n’est pas ce hameau où habite Titouan Le Goff ?

— En effet, nous sommes presque voisins. Il était absent depuis trois bonnes semaines, mais il a dû rentrer cette nuit. En effet, ce matin, j’ai vu sa bagnole devant sa maison.

— Merci Monsieur, rayonna la sirène. Et bonne pêche. »

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Notre héroïne venait d’atteindre son but ! Hélas, si les ailes de géant de l’albatros l’empêchent de marcher, la queue de Sirène de Naïa lui interdisait de débarquer pour sonner à la porte de son bipède préféré. Pour l’instant, la meilleure stratégie était d’espèrer qu’il vint musarder sur le môle. Elle avait constaté qu’aux beaux jours, dans les havres bordant la mer d’Iroise, les humains choisissaient plutôt le soir pour s’adonner à ce genre d’activité. Elle s’arma de patience et consacra la fin du jour à lambiner entre deux eaux, grappillant, de-ci, de-là, quelques algues, afin de remettre à niveau son stock de calories.

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Vint enfin l’instant où comme le chantait José-Maria de Hérédia :

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« L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre, 

Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre, 

Ferme les branches d'or de son rouge éventail. »

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Dans la lumière rasante, qui rosissait la Pointe de Mousterlin, elle reconnut la silhouette de son amant de l’avant-veille. Frissonnant de plaisir, elle nagea vers le môle en émettant une de ses plus belles vocalises. Titouan se figea, la main au dessus des yeux, afin d’essayer de la discerner dans le contre-jour. Vingt secondes plus tard, il plongeait  sans prendre le temps de se dévêtir.

 

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