Et un fauteuil roulant

 

 

Au fil du temps, la Sirène et le navigateur se mirent en ménage. Mais, d'un commun accord, décidèrent de faire chambre à part. Lui, dans les combles de la maison de ses aïeux, où il s’était aménagé une tanière au sortir de l’enfance. Elle, dans l’Océan Atlantique, entre la Pointe de Mousterlin et l’Île aux Moutons. C’est d’ailleurs dans cette gigantesque chambrette qu’ils se retrouvaient pour sacrifier aux délices du déduit. Mais à proximité du rivage, afin que le jeune homme puisse répondre sans délais au signal du marchand de sable.

 

Leur quotidien s’organisa comme celui d’un couple lambda. Dans la journée, il allait au boulot. C’est à dire à l’entraînement, à l’entretien du matériel ou aux diverses conférences. Cependant, elle flânait dans les forêts de laminaires, perfectionnait son art de la natation synchronisée et vocalisait hors de portée des oreilles indiscrètes. A son retour, il venait la cueillir sur la plage et l’emportait comme une jeune mariée. Puis il l'installait délicatement dans un fauteuil, devant le poste de télévision. Elle était sans doute une des seules Sirènes au monde à profiter de cette géniale invention. 

 

C’est dans ces instants d’intimité qu’elle découvrit que son amoureux était omnivore. Végan par nature, plus que par conviction, elle n’eut aucun scrupule à le fournir en moules de roche, en araignée de mer, en homard et en tout autre coquillage ou crustacé, dont il était friand et qu’il lui était facile de récolter au cours de ses plongées. 

 

Le week-end, lorsqu’il n’y avait pas de régate, Titouan asseyait Naïa dans sa Clio rouge pour lui faire visiter l’arrière pays. Mais, dans un souci de discrétion, elle ne quittait pas la voiture. Ce qui réduisait considérablement son plaisir. Jusqu’au jour où, sur le quai de Pont-Aven elle vit un jeune homme aux bras de bodybuilder évoluer en fauteuil roulant. 

 

« C’est ça qu'il me faut, dit-elle à Titouan.

— Pas de problème, je vais t’en offrir un. 

— C’est très gentil, mais j’aimerais me l’offrir moi-même.

— Mais, Naïa, tu n’as pas d’argent.

— Je puis payer en langoustes.

— Dans le monde des humains, c’est plus compliqué que ça. Mais si tu as des scrupules, je puis te prêter l’argent nécessaire à cet achat et tu me rembourseras en langoustes.

— Tu te moques de moi.

— Pas du tout, c’est un marché gagnant-gagnant. Tu auras ton fauteuil tout de suite et j’adore la langouste. »

 

 

NB: Pour illustrer ce marché gagnant-gagnant, je ne résiste pas au plaisir de poster en hors-texte ce petit bout de chanson dont j’espère qu’il ne vous mettre pas en renaud. 

 

" A pêcher la langouste aux confins des Glénan

ce royal crustacé tant qu’y en a

devinez les copains ce qu’s’est offert Naïa :

 

Un beau fauteuil roulant. "

 

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