Naïa

 

Pour se déplacer commodément sur la terre ferme, Naïa la Sirène s’était offert un fauteuil roulant. Dans les premiers temps de leur union, lorsque Titouan venait la cueillir sur l’estran pour la porter jusqu’à la petite maison « les pieds dans l’eau », édifiée au début du siècle précédent, par un aïeul qui fit Terre-neuve et passa maintes fois le Cap Horn, elle vibrait de toutes ses écailles. Sans atteindre la même félicité, elle ne détestait pas qu’il la prit dans ses bras pour l’asseoir dans sa petite auto. En revanche, elle était gênée qu’il dût la transporter comme un fardeau pour les déplacements mineurs de la vie courante. Pour citer une anecdote : elle avait mal vécu la tête ahurie de la clientèle, lorsque Titouan, pressé de boire une Guiness au « Doris », la transbahuta sans dissimuler sa queue avec la sortie de bain prévue à cet effet. Le siège roulant lui offrait à la fois l’autonomie et la discrétion. Pliable, il se rangeait aisément sur le siège arrière de la Clio. En outre il permettait le cas échéant de se garer sur les places de parking réservés aux handicapés. C'était du moins ce que se disait Titouan.

 

 

Tout avait commencé lors de la Solitaire du Figaro, pendant  l’étape Lézardrieux-La Rochelle. Naïa effectuait son pélerinage annuel dans les vestiges de la ville d’Ys, au large de la Baie de Douarnenez, entre l’ile de Sein et la presqu’île de Crozon. Selon la tradition, Dahut, la fille du Roi Gradlon, s’y serait métamorphosée en Sirène lors d’un tsunami qui engloutit la somptueuse cité. Naïa se plaisait à imaginer qu’elle en était une lointaine héritière. 

 

 

Comme ses soeurs, qu’on appelle aussi des "Marie-Morgane" à la Pointe de Bretagne, Naïa, bien que dotée de poumons, pouvait rester plus d’une heure sous l’eau. Après s’être longuement promenée entre les ruines enfouies sous une forêt de laminaires, elle éprouva le besoin de refaire surface. Le hasard fit qu’elle surgit à proximité du voilier de Titouan.

 

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