Les copains

 

« Tu oublies ton sac ! m’avait lancé Maman avant que je franchisse le seuil. »

 

Le bus de ramassage scolaire s’arrêtait à cinquante mètres de chez nous pour embarquer les collégiens du lotissement. Il était pile à l’heure et j’ai bien failli le rater. J’y suis monté le dernier. Le chauffeur ne m’a rien demandé et j’ai suivi la file. Au troisième rang un rouquin rose et joufflu m’a fait un signe de connivence.

 

Doudou ! Le type le plus cool de la bande. Je me souvenais de son leitmotiv : « Je ne suis pas gros, j’ai la peau épaisse. » Je me suis assis tout naturellement à ses côtés. 

 

« Salut Pierrot. T’as préparé ta compo de math ?

— Vaguement. J’ai revisé quelques trucs.

— Tu fais une drôle de tronche ce matin. T’as un problème ? 

— Tout va bien. J’ai seulement fait un putain de cauchemar.

— Raconte.

— J' m’en souviens plus. »

 

Je ne pouvais décemment pas lui raconter ce qui m’arrivait. C'était comme dans le film « Quartier Lointain ». A cinquante ans, le personnage principal tombe en syncope et se réveille dans son corps et dans sa vie d’ado. Mais il a conservé sa mémoire et sa personnalité d’adulte. J’étais en train de vivre la même expérience. Mais pour de vrai. 

 

L’avantage avec Doudou, c’est qu’il a la langue bien pendue et qu’il suffit d’un murmure d’approbation pour relancer la machine. Je profitais donc de son soliloque pour réfléchir à ce qui était en train de m’arriver. C’était un peu comme dans ce stage en immersion que j’avais effectué dans une usine. Le but était de faire découvrir aux futurs cadres le quotidien des ouviers. De la même façon, ce matin, j’allais redécouvrir le quotidien des potaches. Sauf à devenir de devenir fou, c’était la seule façon d’envisager la chose.

 

 

Dans la cour du collège j’ai retrouvé avec bonheur mes poteaux de l’époque. A l’issue de la troisième nous avions suivi des orientations différentes. La petite bande s’était dissoute et chacun de son côté s’était fait de nouvelles relations. 

 

Du coup, j’avais perdu de vue Zain, Jeff et Doudou qui constituaient mon premier cercle. A l’époque, on avait pensé s’intituler « les quatre mousquetaires » — ce qui n’a rien de bien original — mais si le rouquemoutte avait accepté d’être Porthos, nous étions trois à revendiquer le rôle de d’Artagnan. L’affaire avait donc tourné court.

 

 

Lorsque retentit la sonnerie, je suivis mes vieux copains vers la salle de troisième quatre. La moins classieuse selon les profs, mais de loin la plus cool selon nos critères. Instinctivement, je retrouvais ma place de l’époque. Au troisième rang côté fenêtre que je partageais avec Zain.

 

La compo de math avait lieu en première heure. Je reconnus le prof. Un binoclard « sévère mais juste » qui avait le sourire parcimonieux.

 

« Prenez une copie double, nous intima-t-il en distribuant les sujets. »

 

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